Qui se promenait dans les rues du centre de Berlin au cours de la semaine passée aura remarqué une profusion de costumes dans la capitale allemande, et tout particulièrement sur la place du Gendarmenmarkt, en face de la cathédrale du Temple Neuf. Niché dans les salons du Hilton de Berlin - loin de l'IPEM de Cannes - se tenait, entre lundi et jeudi, la dernière édition de l'Infrastructure Investor Global Summit, l'un des rassemblements majeurs de l'industrie. Vauban, InfraVia, Ardian, Mirova, Antin, Omnes, RGreen Invest, Eurazeo, Conquest, Schroders, Rivage Investment, Pearl Infrastructure… Une liste peu exhaustive de fonds tricolores, dont les équipes se mélangeaient à des acteurs européens, africains, asiatiques, australiens, ainsi que nord et sud-américains pour anticiper les tendances de l'infrastructure dans les prochaines années.
Une indexation à l'inflation remise en cause
Si la crise sanitaire a fait un temps figure de stress test pour la classe d'actifs, les bouleversements récents, tant financiers que géopolitiques, demandent à revoir grilles d'analyse et business plan. « Les douze derniers mois ont été plus délicats que la pandémie, où l'argent public coulait à flot, remarque Bruno Candès, associé chez InfraVia Capital Partners. Le marché doit faire face à une augmentation significative du coût de l'emprunt et à une pénurie de main d'œuvre, qui peuvent créer une spirale inflationniste de long terme. La hausse des taux d'intérêt se fera plus sentir chez les fonds core que chez les fonds value-add. Si vous avez en portefeuille une entreprise de services publics à fort effet de levier et que vous devez la refinancer, ce sera plus délicat. »
Un problème plus complexe qu'il n'apparaît au premier abord : si la classe d'actifs a toujours été historiquement considérée comme particulièrement résiliente face à l'inflation, le contexte politique et social pourrait remettre en question cette caractéristique. Certains, à l'image d'Arash Shojaie, directeur au sein l'équipe infra de la Queensland Investment Corporation (QIC), pense même que le marché a historiquement sous-estimé le risque de l'inflation, via des protections contractuelles trop souples. « Il est possible d'augmenter les prix des contrats, mais si les clients ne peuvent pas supporter ces augmentations de prix, il y a un problème pour la résilience vendue par la classe d'actifs. » « La question est de savoir jusqu'où nous pouvons aller avant d'atteindre un niveau qui ne soit plus acceptable », confirme Gwenola Chambon, CEO de Vauban Infrastructure Partners, qui a choisi de limiter ses augmentations liées à l'inflation à 7 ou 8 %.
Un nouvel environnement
Ce changement d'environnement se ressent également sur la taille des tickets. « Certains LPs augmentent leurs allocations, tandis que d'autres réduisent la taille de leurs tickets, passant de 100 M€ sur un fonds précédent à 40-60 M€ », souffle un membre des relations investisseurs d'un fonds tricolore. Plusieurs participants ont ainsi fait état d'une préférence pour des fonds positionnés sur le mid-market, qui offrent de meilleures perspectives de co-investissement et la capacité pour les LPs de garder une certaine influence, plutôt qu'être perdus dans la masse des capitaux. D'autres pointent encore l'arrivée de nouveaux LPs sur la classe d'actifs, qui profitent aux stratégies diversifiées plutôt qu'aux fonds sectoriels, considérés comme trop niches par ces entrants, ou encore une certaine nervosité autour des fonds core, où un risque de compression des yields est envisagé.
« D'une certaine manière, les track records ne s'appliquent plus, car nous entrons dans un nouveau monde », juge Irini Kalamakis. Pour cette senior managing director du canadien Omers Infrastructure, le gel des levées qu'a connu le marché au second semestre 2022 a permis aux LPs d'examiner en profondeur chaque classe d'actifs et de déterminer si toutes les stratégies étaient encore pertinentes dans cette nouvelle normalité. « Spoiler : ce n'est pas le cas. Si les fondamentaux sont toujours là, les investisseurs veulent désormais savoir comment les rendements sont générés, veulent s'assurer que les GPs ne prennent pas de risques inutiles et qu'il y aura plus de transparence sur l'underwriting. » Mais le changement d'environnement n'est pas non plus une finalité, nuance la head of infrastructure européenne d'IFM Investors, Deepa Bharadwaj. « Nous avons connu des périodes de forte inflation, de récession et d'intérêts élevés par le passé. La discipline, la gestion et l'orientation à long terme nous ont permis de nous en sortir. Ce qu'il faut rechercher dans ce nouvel environnement, c'est une valorisation plus rationnelle des actifs et de nouvelles opportunités », à l'image des sous-secteurs adjacents aux secteurs traditionnels des infrastructures.
Des valorisations irrationnelles... et stables ?
La question des valorisations était également sur toutes les lèvres au cours de ces quatre jours. Et si la confiance dans la résilience du secteur est tenace, les interrogations restent présentes quant à son homogénéité dans la classe d'actifs. « Certains acteurs pourraient être pris au dépourvu sur les valorisations », assure Dylan Foo, senior partner et co-head of infrastructure chez Apollo Global Management. « Des GPs ont fait le pari de la croissance de certains secteurs au cours des cinq prochaines années. Si cette croissance n'est pas travaillée, il risque d'y avoir des surprises à la sortie. » Et s'il est encore trop tôt pour déterminer où le marché se trouve dans ce nouveau cycle, nombreux sont les observateurs à noter la baisse du nombre de transactions en cours, où les prix irrationnels de certains processus, comme cet asset manager notant régulièrement des signatures de transactions 50 % supérieures à son offre.
« Nous voyons tous cet aspect, mais cela montre avant tout une certaine déconnexion entre les attentes des vendeurs et ce que les acheteurs expérimentés considèrent comme acceptable sur ce marché », assène Timothy Keeling, director au sein de la British Columbia Investment Management Corporation, taclant au passage un mode opératoire proche du private equity dans le monde du core+ et du value-add. « Mais aujourd'hui, l'augmentation des coûts soumet certaines opérations, financièrement plus sensibles, à une très forte pression sur les valorisations. Paradoxalement, nous constatons également dans les portefeuilles une augmentation des recettes et des flux de trésorerie, ce qui a augmenté la valeur de ces portefeuilles. » Plus prudent, le managing partner de DWS Infrastructure, Hamish Mackenzie, voit lui une différence nette entre la net asset value en portefeuille et le prix de vente sur le marché. « Il est clair que dans n'importe quel environnement, même dans l'environnement actuel, le principal risque est de surpayer un actif. Ou, pire encore, de voir un marché où les multiples augmentent et d'utiliser ces multiples pour justifier le prix payé. Mais contrairement au marché coté, rien ne force une cession des actifs si le prix de vente n'est pas considéré comme suffisamment intéressant », rappelle le gérant, qui a réalisé trois cessions l'année dernière avec un premium entre 20 et 60 % sur la NAV.
Le brown-to-green, pas assez investi ?
La dirigeante d'Axa IM Alts, Isabelle Scemama, n'a pas fait exception au débat des valorisations, mais a préféré s'intéresser à la question du green premium des actifs. « Aujourd'hui, c'est plutôt une brown discount qui est à trouver sur le marché. Les actifs n'atteignant pas certains critères environnementaux sont réévalués et pourraient devenir des stranded assets ». Une baisse de prix qui devrait rendre viable, dans un proche futur, leur acquisition en vue d'un retrofitting. Cette méthode ne semble pas faire rechigner les grands LPs, à condition de pouvoir précisément communiquer l'impact de cette décarbonisation des actifs et la corrélation entre la performance financière et la performance environnementale. « Vous devez expliquer comment votre injection de capex va changer l'impact de l'actif. Or un retrofitting peut intégrer de nombreuses modifications, dont l'impact exact est difficile à isoler de l'ensemble. » Le constat est partagé par Teresa O'Flynn, co-responsable des infrastructures chez Ara Partners, qui note que les investisseurs privés ont été réticents à déployer des capitaux pour décarboniser des secteurs tels que l'industrie, parce que cela entraîne une augmentation initiale de leur empreinte carbone. « Si l'on pense aux infrastructures, 50 % de celles qui existent aujourd'hui existeront encore en 2050. Il n'y a donc aucun moyen d'atteindre le net zero si l'on n'organise pas cette transition brown-to-green. »